Dès 2009, ce sont 10% des emplois parisiens qui seront delocalisés, selon Matignon, afin de compenser au plus vite l'effet suppression de casernes ... Soit quelque 5000 emplois à la DRESS, DARES et INSEE.
Lu pour vous :
A Metz comme ailleurs, les fermetures de casernes provoquent de vives réactions, les populations locales et leurs élus s’inquiétant à juste titre de la disparition d’activités et d’emplois liés à la présence des militaires.
C’est pour répondre à ces angoisses que Nicolas Sarkozy, recevant le 3 septembre dernier un parterre d’élus mosellans, a annoncé que la ville de Metz accueillerait bientôt 1 500 emplois dédiés à la statistique publique. Concrètement, cette déclaration annonce le transfert d’une part importante de la direction générale de l’Insee, ainsi que des services statistiques ministériels, notamment ceux des ministères de l’emploi (Dares) et de la santé (Drees).
Inutile de préciser que les personnels concernés sont en ébullition, et rejettent fortement cette décision prise sans la moindre concertation. Il faut dire aussi que cet oukase est prononcé dans un contexte très tendu entre les statisticiens publics et l’actuel président. Depuis son passage éclair mais mouvementé à Bercy en 2004, Sarkozy est soupçonné de ne voir dans les services statistiques que des bureaux d’étude chargés de fournir les chiffres qui conviennent à sa politique et de taire, voire de falsifier ceux qui n’iraient pas dans son sens. Même si ce soupçon est sans doute excessif et que cette pratique ne lui est pas propre, force est de constater que le pouvoir actuel ne semble pas excessivement préoccupé par le développement d’expertises indépendantes permettant d’évaluer ses politiques.
En témoigne la mise en place du RSA : alors que, de manière très innovante en termes d’action publique, celle-ci devait s’appuyer sur les leçons d’une expérimentation à petite échelle, l’extension du dispositif a été annoncée avant même que l’expérimentation en cours soit achevée.
Une telle instrumentalisation de l’évaluation des politiques publiques en dit long… Quant aux statistiques publiques, on se souvient des violentes critiques exprimées contre l’Insee lorsque cet institut a produit de «mauvais» chiffres sur la croissance, le chômage, ou l’inflation.
Bien évidemment, les tensions entre le gouvernement d’un Etat et les services statistiques de son administration sont inévitables ; elles se manifestent de diverses manières dans tous les pays. Mais la crédibilité de la statistique publique est une condition sine qua non de son efficacité, et cette crédibilité s’accommode bien mal des pressions gouvernementales.
Le code de bonnes pratiques promu en 2005 par Eurostat, l’institut de statistiques de l’Union européenne, rappelle que le premier principe sur lequel doit s’appuyer tout système national statistique est celui de l’indépendance professionnelle. Un rapport récent d’Eurostat pointe que cette indépendance est une composante forte de la culture de l’Insee, mais qu’elle est également souvent remise en cause ; Eurostat recommande donc que l’indépendance de l’Insee en matière statistique soit au plus vite reconnue par la loi. La loi, d’ailleurs, est en marche. Mais le projet initial du gouvernement ne faisait pas mention de l’indépendance, et si l’Assemblée nationale a proposé un article l’inscrivant dans la loi, le Sénat a fait machine arrière : manifestement, cette indépendance ne va pas de soi. L’autre point important est de rappeler que la statistique publique est au service… du public. Et cette mission de service public ne s’arrête pas aux frontières de l’Etat ni, à plus forte raison, à celles du gouvernement en place.
La statistique publique produit et diffuse des données qui ont aussi pour but d’irriguer le monde de la recherche et au-delà, l’ensemble de la société civile. Ceci passe par la diffusion d’analyses statistiques de qualité, qui doivent alimenter un débat public assis sur des faits objectivés. Ceci passe aussi par la transmission (en s’assurant de la confidentialité des données «sensibles» portant sur des individus ou des entreprises) auprès des chercheurs des éléments d’enquête permettant de conduire des analyses indépendantes. Enfin et surtout, ceci passe par l’échange nourri entre producteurs de données et utilisateurs ; c’est cette confrontation entre une offre publique et une demande sociale qui permet de définir les directions dans lesquelles doit se développer l’activité de la statistique publique.
Pour remplir sa mission, la statistique publique doit donc être au cœur de la cité : l’INSEE et les services ministériels doivent rester en étroite relation avec les autres producteurs de statistiques, notamment les organismes de protection sociale ; leur localisation géographique doit également permettre l’interaction fréquemment répétée avec la recherche académique, ainsi qu’avec toute la société civile. Peut-on penser qu’un chercheur de Marseille ou qu’une militante associative de Bordeaux se rendra à Metz pour une discussion sur le programme statistique ? Les statisticiens de l’INSEE ont raison de se mobiliser contre un tel transfert, mais ne nous y trompons pas : leur combat est aussi le nôtre.
Pierre-Yves Geoffard est chercheur au CNRS.