Pour la création d’un Secrétariat d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales
auprès du Garde des Sceaux
Madame ou Monsieur le futur Premier Ministre,
Certains préconisent « une refondation démocratique de la Justice » (Dominique Rousseau
et Daniel Ludet, Libération, 6/2/2012), d’autres « une révolution judiciaire » (Syndicat de
la Magistrature). Ces propositions méritent toute notre attention. Mais parmi les questions
que le nouveau Garde des Sceaux de votre gouvernement aura à traiter, à son arrivée place
Vendôme, il en est une qui ne pourra pas attendre : la question pénitentiaire.
A bien des égards, la situation des prisons constitue une violation de l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains ou
dégradants. Vous le savez, le taux de croissance du nombre de détenus a été de 7 % en un
an, contre 1,6 % pour le nombre de places ; on compte 12 251 « détenus en surnombre » en
ce début d’année ; 629 d’entre eux dorment sur un matelas posé à même le sol ; c’est 3
fois plus qu’il y a un an.
La prise en charge des personnes placées sous main de justice, en milieu ouvert, n’est guère
plus satisfaisante du fait d’un manque évident de moyens administratifs, de personnels
d’insertion et de juges de l’application des peines (JAP). En 2012, l’Etat n’est même pas
capable de connaître le nombre exact de ces personnes prévenues ou condamnées, et encore
moins leurs caractéristiques juridiques.
Rompre avec une telle situation contraire aux valeurs républicaines et préjudiciable à la
prévention de la récidive exigera de la part de votre Gouvernement une forte volonté
politique. Aussi, nous vous suggérons, respectueusement, de proposer, le moment venu,
au Président de la République, en application de l’article 8 de la Constitution, la
nomination d’un Secrétaire d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales placé
auprès du Garde des Sceaux. Le titulaire d’une telle fonction devra avoir l‘autorité
politique que seul confère le suffrage universel et la technicité nécessaire dans un tel
domaine.
De l’amende à la réclusion criminelle
Pour décrire le champ complexe des mesures et sanctions pénales (MSP), le Conseil de
l’Europe distingue, utilement, trois catégories :
a - les mesures et sanctions carcérales (détention provisoire, exécution d’une peine
privative de liberté en détention effective…)
b - les mesures et sanctions appliquées « dans la communauté », c’est-à-dire les MSP non
carcérales accompagnées d’une « supervision » (contrôle judiciaire, sursis avec mise à
l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle…)
c. - les mesures non carcérales sans supervision (amende, sursis simple, retrait de permis
de conduire…).
La compétence du Secrétaire d’Etat à l’exécution des MSP concernera ces trois catégories
de mesures et de sanctions. Il n’est donc pas question de renouveler l’expérience, sans
lendemain, confiée à Mme Hélène Dorlhac en 1974-1976 (secrétaire d’Etat à la condition
pénitentiaire) et encore moins celle de M. Jean-Marie Bockel (2009-2010) dont on ne sut
jamais de quoi il était chargé.
Le sens qu’une peine doit avoir, pour le condamné et ses proches, la victime et ses proches,
la société dans son ensemble, dépend, en premier lieu, des conditions dans lesquelles elle
aura été prononcée par les juridictions de jugement.
Mais une condamnation qui peut avoir pris tout son sens au moment du procès, peut le
perdre au moment de sa mise à exécution compte tenu de délais déraisonnables, mais aussi
au cours de son application, dans la durée, compte tenu des conditions concrètes
d’exécution.
La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 précise, dans son article 1er, que la peine
privative de liberté doit permettre au condamné de « mener une vie responsable et de
prévenir la commission de nouvelles infractions ». Un tel objectif peut-il être atteint quand
la peine est exécutée dans un établissement surpeuplé, où l’encellulement individuel n’est
évidemment pas respecté, où les détenus ne sortent de leur cellule que deux ou trois heures
sur vingt-quatre, où ils sont condamnés à l’oisiveté, voire à la violence de leurs codétenus ?
La réponse est évidemment non.
Garant du sens de la peine
Sous l’autorité du Garde des Sceaux, le secrétaire d’Etat à l’exécution des mesures et
sanctions pénales sera le garant du sens de la peine au moment de sa mise à exécution, du
sens de la peine tout au long de son application, en détention, comme en milieu ouvert,
mais aussi du sens de la peine au moment où son exécution s‘achève.
Pour se faire, il devra conduire l’ensemble des réformes nécessaires,
et tout particulièrement la mise en place d’un mécanisme destiné à prévenir la surpopulation
carcérale (numerus clausus), préalable nécessaire au respect, à court terme, de
l’encellulement individuel.
Il aura autorité sur l’administration pénitentiaire et sur la direction de la protection
judiciaire de la jeunesse pour ce qui est du placement sous main de justice des mineurs. Il
fera en sorte que l’ensemble des règles pénitentiaires adoptées, le 11 janvier 2006 par le
Conseil de l’Europe, soient enfin respectées (RPE). Il veillera aussi au respect des règles
européennes en matière de mesures et sanctions appliquées dans la communauté que les
gouvernements de droite n’ont même pas pris la peine de diffuser comme la France s’y
était engagée, à Strasbourg.
Le secrétaire d’Etat devra veiller à la mise en place des instruments d’évaluation et de
prospective qui font aujourd’hui, dramatiquement défaut en matière de mise à exécution
comme d’exécution de l’ensemble des mesures et sanctions pénales et de récidive, au sens
large du terme. La première priorité sera de réévaluer la capacité des établissements
pénitentiaires existants, sur la base d’une définition de ce qu’est une place de prison, en ne
se contentant pas, comme aujourd’hui, du seul critère de la superficie des cellules. Il est
tout aussi nécessaire d’évaluer, enfin, les capacités de suivi de chaque service pénitentiaire
d’insertion et de probation (SPIP). C’est une étape absolument nécessaire à toute gestion
rationnelle à court terme, à toute programmation à moyen et long terme.
Le recours, dans les discours officiels de la Chancellerie et des Parlementaires de la
majorité actuelle, aux statistiques dites « non consolidées » doit cesser. « Non consolidées »
signifie avant tout « non publiées », « incontrôlables » et donc sujettes à toutes les
manipulations politiciennes possibles. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi de
programmation sur l’exécution des peines a montré jusqu’où pouvait mener une telle
dérive.
Pierre V. Tournier
Président de DES Maintenant en Europe