Source France Info
Confrontés à une baisse du nombre d’actifs et une hausse constante du nombre de retraités, pendant combien de temps les régimes de retraite vont-ils encore pouvoir verser des rentes à leurs cotisants ? Le scandale du Cref-Corem pourrait donc n’être que le premier d’une longue série…
"C’est l’un des plus gros scandales de l’épargne en France", lançait maître Lecoq-Vallon, l’avocat du Comité de défense des sociétaires (CIDS) à l’ouverture du procès le 15 janvier dernier, devant le tribunal correctionnel de Paris. Un procès au civil, que plusieurs milliers de plaignants attendaient depuis sept ans.
L’affaire tourne autour du Complément de retraite facultatif des fonctionnaires (CREF), qui s’était engagé à indexer les rentes de ses quelques 450.000 adhérents sur le traitement de la fonction publique. Créé en 1949, le CREF a atteint un point de rupture à la fin des années 90. En cause, la baisse du nombre d’actifs (donc de cotisants) et, dans un contexte de vieillissement de la population, la hausse du nombre de retraités (donc de pensions à verser). Dans le même temps, il s’est avéré que les rentes n’avaient pas été suffisamment provisionnées : cinq années de provisions pour des rentes à verser pendant plus de 20 ans.
En 2000, le CREF se retrouve donc en situation de quasi-faillite, plombé par un trou de plus de 1,6 milliard d’euros, selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas, 1999). Le CREF décide alors de diminuer brutalement la valeur des rentes de 17%, de contraindre ses adhérents à transférer leurs droits sur des régimes moins avantageux comme le Corem, voire de casser leur contrat d’épargne, dans des conditions encore plus pénalisantes : dans le meilleur des cas, les cotisants ne récupèrent que leur mise mais doivent tout de même rembourser au Trésor les déductions fiscales sur les cotisations. Pire, ceux qui cotisaient depuis moins de cinq ans perdent la moitié de leur capital, et ceux dont les contrats avaient moins de deux ans perdent tout.
Au total, près de 70.000 personnes ont perdu 50% de la valeur de leurs cotisations, voire plus. Et les 380.000 autres, qui se sont résolues à transférer leurs droits ailleurs, ont récupéré des prestations beaucoup plus faibles. Quelque 6.000 petits fonctionnaires – enseignants, postiers ou agents du Fisc —, particulièrement remontés, réclament de l’ordre de 14.000 euros par adhérent en moyenne. Au regard des situations très disparates, les préjudices iraient de quelques milliers d’euros à 30.000 euros. Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 24 juin.
L’arbre qui cache la forêt
Guillaume Prache, l'auteur de l'enquête publiée cette semaine - © BOURIN EDITEUR
Mais l’affaire ne s’arrêtera pas là. Car le volet civil se double d’un volet pénal qui pourrait faire l’objet d’un second procès. Neuf anciens responsables de la mutuelle, dont l’ancien ministre socialiste des Affaires sociales René Teulade, sont en effet mis en examen pour abus de confiance. Soupçonnés d’avoir bénéficié de certains avantages interdits par le Code de la mutualité, comme des voitures ou des appartements de fonction.
Et le scandale du CREF n’est que l’arbre qui cache la forêt, si l’on en croit les révélations de Guillaume Prache ( notre photo) dans son enquête à paraître chez Bourin éditeur.
Car le Corem présenté par l’avocat du CIDS comme un simple "CREF relooké", ne serait guère plus armé que son prédécesseur pour faire face durablement aux échéances. L’ouverture du Corem à l’ensemble des salariés, et non plus aux seuls fonctionnaires, permet en effet d’augmenter le nombre d’adhérents et les versements de cotisations. Et le gestionnaire de Corem affirme être aujourd’hui provisionné à la hauteur de ses engagements envers ses adhérents.
Ce dont doutent le CIDS et l’Association nationale des fonctionnaires épargnant pour la retraite (Arcaf). La baisse du nombre d’actifs et l’augmentation constante du nombre de retraités risquent en effet de ne plus permettre, un jour ou l’autre, à l’ensemble des régimes de retraite complémentaire d’honorer leurs promesses. Le CREF est donc sans doute le premier scandale d’une longue série.
Un million de fonctionnaires, clients de la Préfon, du Cref et de la Complémentaire des hospitaliers sont victimes de la mauvaise gestion de ces régimes. Dans un livre courageux, Guillaume Prache lève le voile sur ces dérives.
ILS SONT considérés comme un des « privilèges » des fonctionnaires : ces régimes de retraites complémentaires facultatifs sont en effet assortis d'un avantage fiscal considérable, la déduction des primes versées par les souscripteurs de l'assiette de leurs revenus. Au fil des ans, certains de ces régimes se sont révélés calamiteux, prenant au piège plus d'un million de victimes, avec des rentes qui ne sont plus garanties, une revalorisation nulle... La combativité de quelques associations a eu raison de l'omerta qui a entouré ces dérives.
Guillaume Prache, auteur des « Scandales de l'épargne-retraite », magistrat à la Cour des comptes en disponibilité, vice-président de la Faider (Fédération des associations indépendantes de défense des épargnant) et membre de la commission Epargnants de l'AMF (Autorité des marchés financiers), lève le voile sur ces pratiques explosives.
A la lecture de votre livre, on découvre que les fonctionnaires, déjà touchés par la réforme du régime général, sont également victimes de la mauvaise gestion de leurs régimes complémentaires...
Guillaume Prache. Une mauvaise gestion qui relève du scandale. Plus de 1 million de fonctionnaires, la plupart de niveau modeste, des instituteurs, des postiers, du personnel judiciaire ou hospitalier sont victimes de plusieurs fonds de retraite parmi lesquels le Cref, aujourd'hui appelé le Corem, la Complémentaire des hospitaliers et, dans une moindre mesure, la Préfon. Leur manque à gagner, s'il ne peut être chiffré précisément, dépasse, quoi qu'il en soit, 3 milliards d'euros. On leur avait pourtant promis une rente garantie à vie, revalorisée régulièrement avec une « carotte fiscale » offerte par l'Etat. Or, depuis quelques années, les adhérents du Corem et les hospitaliers découvrent que leur rente n'était garantie que pendant environ cinq années et, pour ceux de la Préfon, que leurs droits sont peu ou pas revalorisés. En clair, qu'ils perdent chaque année du pouvoir d'achat.
« Une carence de contrôle de l'Etat »
Comment en est-on arrivé là ?
Le Cref et les régimes des hospitaliers n'avaient pas prévu les fonds dont ils auraient besoin pour servir les rentes promises à leurs adhérents. Le Cref a même fonctionné en toute illégalité sans que les pouvoirs publics s'en émeuvent. Le régime n'était en effet pas assez provisionné depuis au moins 1988 et le trou s'élevait en 1999, date d'un rapport de l'Igas, l'Inspection générale des affaires sociales, à 1,6 milliard d'euros. En 2001, les rentes ont dû être réduites de 17 % et pas ou très peu revalorisées depuis. En plus, plus de 80 000 adhérents ont été poussés à la démission et perdu de ce fait au moins la moitié de la valeur de leur épargne. Pire, ils ont été taxés sur les sommes qu'ils avaient récupérées. Certains ont déposé plainte et devraient enfin obtenir satisfaction, le gouvernement venant d'accepter de leur rembourser l'impôt perçu.
Que peuvent faire les fonctionnaires qui ont souscrit à ces régimes ?
Se battre. Les adhérents de la Préfon ont déjà obtenu le droit de transférer leurs fonds vers un autre régime à partir de 2010. Ceux des Hospitaliers viennent de voir le leur renfloué partiellement par l'Etat et l'organisme assureur. Quant aux victimes du Cref, une décision de justice devrait être rendue le 24 juin prochain pour les indemniser. En outre, l'Etat a été reconnu par le TGI de Paris, en 2006, responsable pour faute lourde en raison d'une carence de contrôle. L'affaire est en appel. Enfin, une procédure au pénal est en cours contre certains dirigeants du Cref, comme René Teulade, mis en examen pour abus de confiance (NDLR : l'équivalent d'abus de biens sociaux en droit des sociétés) . Les plaignants espèrent leur renvoi en correctionnelle pour cette année.
Vous dénoncez un autre scandale qui ne touche pas seulement les fonctionnaires, celui de certains Perp...
Le plan d'épargne retraite populaire a été lancé en 2004. Son principal attrait réside dans la déduction fiscale. Or, on a découvert que sur 2 millions de souscripteurs, environ 1 million n'était pas ou peu imposé. Ils n'avaient donc aucun intérêt à souscrire. Il faudrait que le législateur interdise ce genre de pratique. Mais tout le monde se tait.